Les normes relatives aux droits de l’homme interdisent clairement l’application de la peine capitale à l’encontre de personnes souffrant de troubles mentaux.
Cependant, leur respect est souvent rendu impossible dans la pratique pour diverses raisons, comme les compétences des professionnels de santé ou les moyens de défense disponibles. Cette table ronde avait pour objectif d’explorer ces problèmes pratiques afin de trouver le moyen de les dépasser, en prenant en compte le point de vue du mouvement de défense des droits des personnes handicapées.

Des normes internationales établies interdisent l’imposition de la peine de mort aux personnes souffrant de désordres mentaux mais sont rarement mises en oeuvre

Plusieurs standards internationaux visant à protéger les personnes souffrant de désordres mentaux contre l’application de la peine de mort ont été adoptées. En 1984, le Conseil économique et social des Nations unies (Ecosoc) a adopté les « garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort ».57 La troisième garantie prévoit que « les personnes âgées de moins de 18 ans au moment où elles commettent un crime ne seront pas condamnées à mort et la sentence de mort ne sera pas exécutée dans le cas d’une femme enceinte, de la mère d’un jeune enfant ou de personnes frappées d’aliénation mentale ».

En 1989, l’Ecosoc a précisé l’application de ces garanties aux personnes souffrant de désordres mentaux dans sa résolution 1989-64 (adoptée le 24 mai 1989) en recommandant aux États membres de supprimer la peine de mort « tant au stade de la condamnation qu’à celui de l’exécution, pour les handicapés mentaux ou les personnes dont les capacités mentales sont extrêmement limitées ».58
De même, l’ancienne Commission des droits de l’homme des Nations unies (remplacée depuis par le Conseil des droits de l’homme) a demandé instamment aux États qui continuent d’appliquer la peine de mort « de ne pas l’appliquer à des personnes atteintes d’une quelconque forme de déficience mentale ou intellectuelle, ni d’exécuter un condamné atteint d’une telle déficience ».59
Dans sa résolution pour un moratoire sur l’application de la peine de mort de 2014, l’Assemblée générale des Nations unies a également appelé les États à ne pas imposer la peine de mort pour les personnes souffrant d’une déficience mentale ou intellectuelle.60
Plusieurs tribunaux nationaux et mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits de l’homme ont également reconnu cette interdiction.61

  • Le problème réside dans la mise en œuvre de cette interdiction. Juridiquement, plusieurs problèmes se posent en effet en pratique :
    Peu de pays ont adopté des mesures permettant la protection effective des personnes atteintes de désordres mentaux contre l’application de la peine de mort, en particulier lorsque les désordres mentaux se développent après la condamnation.
  • La possibilité de plaider l’inaptitude à subir un procès est restrictive puisqu’elle ne s’applique qu’aux cas de maladie mentale grave.
  • La défense d’aliénation mentale est très limitée et, bien que l’interprétation de cette défense varie d’un État à l’autre, il est généralement admis qu’elle repose sur un critère très restrictif fondé sur une maladie mentale extrêmement sévère. La grande majorité des accusés sont invariablement en deçà de la norme requise.
  • La défense moins restrictive de responsabilité réduite a été introduite dans de nombreuses juridictions. Cependant, elle a ses limites puisqu’elle ne peut notamment être avancée que si l’accusé accepte et que de nombreux accusés atteints de désordres mentaux ne peuvent apprécier la nécessité de faire valoir une telle défense.

Un autre problème de taille est celui des pays dans lesquels l’application de la peine de mort est obligatoire. Dans ces cas, la seule solution est que le Comité ou la Commission des grâces (l’appellation varie selon les pays) accorde une commutation de peines en raison des désordres mentaux. Cette question est actuellement pendante devant le Comité judiciaire du conseil privé (Judicial Committee of the Privy Council ou JCPC) par la République de Trinidad et Tobago dans les affaires Pitman62 et Hernandez.63

La difficulté à obtenir une expertise médico-légale exacte pour les personnes encourant la peine de mort

Les informations médicales requises pour établir un diagnostic et la compréhension de concepts tels que la capacité de plaider, la folie, la responsabilité réduite varient grandement tant en termes de définitions juridiques que médicales. Le manque de personnel médical qualifié est également un problème pour obtenir des évaluations médicales des accusés.

La difficulté de mise en œuvre de l’interdiction vient également :

  • Des difficultés à catégoriser les différents types de désordres mentaux et faire un diagnostic pertinent ;
  • Du fait que les désordres psychiatriques évoluent et qu’il est donc difficile d’évaluer les désordres mentaux à un moment donné de la procédure juridique ;
  • Les concepts juridiques n’ont pas forcément d’équivalent en médecine.

En tout état de cause, en cas de désaccord au sujet de la santé mentale d’une personne, l’exécution ne devrait pas avoir lieu. L’abolition de la peine de mort est donc la seule solution.

Le cas de l’Indonésie

Un exemple des difficultés liées à la mise en œuvre de l’interdiction de la peine de mort est l’Indonésie.
Un des défis pour les avocats est d’abord de communiquer avec les personnes atteintes de désordres mentaux et de leur faire comprendre la procédure, les défenses possibles et l’impact de certaines décisions sur la procédure judiciaire.
Les agents du système judiciaire manquent de connaissances sur la santé mentale, les avocats n’ont pas la formation et l’éducation nécessaires pour comprendre et reconnaître les désordres mentaux. À cela s’ajoute un manque de psychiatres mais également la réticence de certains psychiatres d’être associés à des affaires liées aux drogues par exemple, ce qui ne permet pas une protection effective des personnes souffrant de désordres mentaux, comme en témoigne l’exécution de Rodrigo Gularte (citoyen brésilien) en Indonésie, après sa condamnation à mort en 2005 pour avoir importé de la cocaïne dans le pays. Rodrigo Gularte avait été diagnostiqué d’un trouble affectif bipolaire dans les années 1990 et avait été hospitalisé à l’époque. Il avait également été diagnostiqué de schizophrénie paranoïaque en prison. L’état de Rodrigo Gularte a été ignoré, tout comme sa demande de transfert dans un établissement de santé mentale, et il a été exécuté en 2015.
L’Indonésie ne possédant pas de législation interdisant l’exécution des personnes atteintes de désordres mentaux, les procureurs et juges tiennent rarement compte des normes internationales. Il est donc urgent de légiférer en la matière. Plus généralement, il est également important de s’assurer que les personnes inculpées de crimes passibles de la peine de mort et condamnées à mort soient régulièrement soumises une évaluation de leur santé mentale.

La perspective d’une organisation de défense des droits des personnes handicapées

La question de la protection des personnes ayant une déficience intellectuelle constitue un dilemme pour certaines organisations de défense des droits des personnes handicapées. Si ces dernières défendent l’abolition de la peine de mort pour tous, il n’en reste pas moins que cette protection reste fondée sur des stéréotypes puisqu’elle revient à supposer que les personnes ayant une déficience intellectuelle ne peuvent être tenues responsables de leurs actes.
L’approche de la Convention relative aux droits des personnes handicapées64 exige en effet que nous ne puissions pas automatiquement admettre que les personnes ayant une déficience intellectuelle soient incapables d’intention ou irresponsables. Elles peuvent en effet avoir la capacité de comprendre et d’agir. L’important est surtout de veiller à ce que les procès soient équitables. Pour ce faire, une formation appropriée des personnels de l’administration, de la justice, de la police et du système pénitentiaire sur la manière de gérer des affaires impliquant des personnes ayant une déficience intellectuelle est nécessaire.

 

Notes

Maladie mentale et déficience intellectuelle…


Pour aller plus loin