« En l’absence de définition internationale du terrorisme, le « minimum serait de s’accorder sur le fait que l’on ne peut attacher une peine aussi irrémédiable et irréversible que la peine de mort à un comportement que nous n’arrivons pas à définir précisément ».
Florence Bellivier, professeure à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et secrétaire générale adjointe de la FIDH

Le phénomène du terrorisme, qui ne date pas d’hier, rend plus ardue la défense de l’abolition, d’autant plus que certains pays, tels que la Chine, l’Égypte, le Tchad et la Tunisie ont récemment adopté des lois anti-terroristes qui incluent la peine de mort. Cette table ronde abordait l’inefficacité de la peine de mort comme arme de dissuasion pour combattre le terrorisme. Ont été également exposées des situations où des États rétentionnistes réduisent au silence l’opposition, criminalisent les activités liées aux droits de l’homme et plus généralement violent les droits de l’homme, au nom de la lutte contre le terrorisme.

  • Depuis les années 1960, les Nations unies ont élaboré dix-neuf instruments juridiques internationaux68 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cependant, aucun ne fournit de définition du terrorisme lui-même. Malgré différentes tentatives, la communauté internationale n’a pas encore trouvé de consensus sur une définition juridique internationale du terrorisme.
  • 65 des 94 pays ou territoires rétentionnistes maintiennent la peine de mort pour terrorisme69.
  • 15 pays ou territoires rétentionnistes ont exécuté au moins une personne pour des crimes liés au terrorisme entre 2006 et 2016.
  • 24 pays ou territoires rétentionnistes condamnent à mort pour terrorisme70.

Bien qu’en proportion, le terrorisme ne soit pas le crime pour lequel le plus de condamnations ou d’exécutions aient eu lieu ces dix dernières années, la question demeure importante pour le mouvement abolitionniste. En effet, partout dans le monde, le terrorisme semble faire reculer nos exigences en termes de droits de l’homme et du droit à la vie. On assiste à l’érosion de l’interdiction absolue de la torture. Quant aux arrestations arbitraires, aux exécutions extrajudiciaires et à la multiplication de lois antiterroristes vagues permettant de condamner à la peine de mort à l’issue de procès inéquitables, elles semblent de plus en plus acceptées par les populations au nom du droit à la sécurité.
Dans le cas de la peine de mort, nombre d’États arguent de l’effet dissuasif de cette peine contre un terrorisme, pourtant non internationalement défini, pour justifier son maintien dans leur arsenal juridique ou son rétablissement. Les intervenants de cette table ronde ont rappelé avec force le caractère non dissuasif et l’inefficacité de la peine de mort pour lutter contre le terrorisme, avec des exemples particulièrement frappants puisés dans l’actualité.
Ainsi, au Tchad, le 29 août 2015, les exécutions de dix membres présumés du groupe islamiste Boko Haram n’ont pas eu l’effet escompté par les autorités. S’il était question de dissuader du terrorisme, puisqu’il s’agissait du premier procès au Tchad de membres présumés de Boko Haram à la suite d’un double attentat suicide en juin 2015 dans la capitale N’Djamena, l’argument ne tient pas. Cette exécution a été au contraire suivie d’une hausse des actes terroristes de Boko Haram dans la zone du lac Tchad.
Ces exécutions ont suivi des condamnations prononcées en contravention du droit à un procès équitable. Moins de trois semaines séparent l’arrestation des condamnés, le procès et l’exécution de la peine, faisant dire à Christopher Heyns, le Rapporteur des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, que « ces exécutions ont eu lieu après un procès qui n’aurait pas été organisé dans les normes internationales requises ». Les exécutions ont en effet eu lieu après un jugement non définitif, celui de la cour criminelle de N’Djamena, ne laissant aux accusés aucune possibilité de se pourvoir en cassation devant la Cour suprême ou de déposer un recours en grâce71 (en contravention avec le droit à un procès équitable prévu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont le Tchad est partie depuis le 9 juin 199572).

Il est également assez inquiétant de constater que les condamnations à mort pour des crimes lié au terrorisme se basent le plus souvent sur des dispositions juridiques vagues.

Il est également assez inquiétant de constater que les condamnations à mort pour des crimes liées au terrorisme se basent le plus souvent sur des dispositions juridiques vagues. Le principe de l’égalité entre les délits et les peines est mis à mal puisque le terrorisme, souvent défini de manière peu précise, est devenue une notion fourre-tout permettant à nombre de pays de multiplier les condamnations à mort et les exécutions.
Au Pakistan, un moratoire sur les exécutions a été levé en décembre 2014, à la suite de l’attaque d’une école à Peshawar qui a tué près de 140 personnes, dont 132 enfants, attaque revendiquée par le Mouvement des talibans du Pakistan (Tehrik-e-Taliban Pakistan ou TTP).
C’est sur la base de la définition vague du terrorisme inscrite à l’article 6 de la loi anti-terroriste de 1997 (Anti-Terrorism Act ou ATA, 1997) que de nombreuses condamnations à mort et exécutions sont désormais prononcées73. Selon les chiffres recueillis par Justice Project Pakistan et Reprieve, 86 % des accusés inculpés pour des crimes relevant de la loi anti-terroriste de 1997 le sont en fait pour des infractions sans lien avec le terrorisme74.
Un exemple de l’utilisation abusive de la loi anti-terroriste de 1997 est celui du procès de Zafar Iqbal. Accusé du meurtre de son père à la suite d’une dispute sur des questions d’héritage, il est inculpé de terrorisme. Déclaré coupable, il est condamné à mort en mai 2003, conformément aux articles 302(b) du Code pénal et 7(a) de la loi anti-terroriste de 1997. Le juge du tribunal anti-terroriste a considéré que le meurtre d’un père par son fils suffisait à lui seul à créer un sentiment d’insécurité et de terreur auprès des habitants de la localité, conformément à la définition de l’article 6 de la loi antiterroriste de 1997. Il est exécuté en mars 2015 sans qu’aucun lien avec le terrorisme ou son affiliation à un groupe terroriste n’ait été prouvé et malgré le pardon des héritiers de la victime qui, selon le droit pakistanais, aurait pu conduire à une commutation de sa peine de mort75.
Si, après la levée du moratoire, les exécutions au Pakistan ne concernaient que les condamnations liées à des infractions de terrorisme, elles ont ensuite été étendues à tous les crimes de droit commun. Selon Azam Nazeer Tarar, 405 exécutions ont eu lieu entre décembre 2014 et le 10 juin 2016.
Dans de nombreux pays, la lutte antiterroriste est surtout utilisée pour museler la société civile et/ou l’opposition politique ainsi que pour justifier des violations des droits de l’homme.
En Égypte, la lutte contre le terrorisme est devenue un prétexte à l’arrestation d’opposants et/ou de membres de la société civile (activistes, journalistes et syndicalistes notamment), à l’imposition de la peine de mort pour des infractions non violentes, qui ne peuvent être qualifiés de crimes (comme les manifestations et activités de défense des droits de l’homme) à l’issue de procès manifestement inéquitables ou de masse. Une loi antiterroriste promulguée en janvier 201676 établit « notamment des tribunaux d’exception et prévoit de lourdes amendes pour les journalistes qui publient des informations sur le terrorisme contraires aux communiqués officiels »77.

 

Notes


Pour aller plus loin