Les institutions nationales des droits de l’homme (INDH) ont pour mandat de protéger et de promouvoir les droits de l’homme. La question de l’abolition et les sujets connexes, tels que le droit à un procès équitable ou encore les conditions de détention, relèvent de ce mandat. Alors que plusieurs INDH jouent un rôle clé dans la lutte contre la peine de mort, d’autres ne s’y engagent que très peu, voire pas du tout. À travers des exemples positifs et l’évaluation critique de leur travail sur la question, il s’agissait de rappeler à quel point il est important d’impliquer cet acteur trop souvent négligé dans le combat abolitionniste et d’y rallier les jeunes institutions tout comme les plus récalcitrantes.

De nombreux États ont impulsé la création d’institutions nationales des droits de l’Homme (INDH) suivant des modèles extrêmement variés. Ce sont des structures hybrides, placées quelque part entre État et société civile, qui ne sont pas toujours faciles à appréhender. Si aucune INDH ne ressemble à une autre, si leur indépendance vis-à-vis des autorités varie, une évidence subsiste : c’est aussi en travaillant avec ces acteurs que l’abolition peut avancer dans le monde.
Au cours de cette session plénière, la première à aborder la question du rôle des INDH dans le cadre d’un Congrès mondial contre la peine de mort, plusieurs exemples ont été évoqués, démontrant l’importance de travailler avec cet acteur encore trop souvent négligé par le mouvement abolitionniste.
Les INDH peuvent en effet grandement contribuer au travail de la communauté abolitionniste. Par exemple, dans le cas du Malawi, abolitionniste de fait depuis 1994, la Commission des droits de l’homme a participé à plusieurs initiatives liées à l’abolition.
La Commission du Malawi a notamment participé à un recours en constitutionnalité sur l’application obligatoire de la peine de mort en tant qu’« ami de la Cour » (amicus curiæ92) dans l’affaire Kafantayeni et autres contre le procureur général du Malawi. Dans son jugement rendu en 2007, la Haute Cour du Malawi a déclaré inconstitutionnelle l’application obligatoire de la peine de mort. À la suite de cette décision, toutes les personnes condamnées à la peine de mort obligatoire, soit 192 au total, ont vu leurs condamnations annulées et de nouvelles audiences de détermination de leurs peines93 ont été organisées. La Commission a pris part au projet de redétermination des peines (Kafantayeni Sentence Rehearing Project). Entre le début des nouvelles audiences en février 2015 et juin 2016 (Congrès d’Oslo), 73 anciens condamnés à mort ont déjà libérés soit parce que le tribunal estimait qu’ils avaient été condamnés à tort ou qu’ils avaient déjà purgé leur peine.
La Commission du Malawi a également participé à de nombreuses initiatives demandant l’abolition de la peine de mort. Elle a notamment utilisé l’opportunité de l’examen du rapport initial du Malawi au Comité des droits de l’homme des Nations unies en 2014 pour recommander aux autorités du Malawi d’abolir la peine de mort. Elle a également initié des formations de juges, d’avocats et de travailleurs sociaux sur l’abolition de la peine de mort, en collaboration avec des organisations non gouvernementales (ONG), et y a participé. Ces exemples d’engagement direct de la Commission illustrent le rôle clé que peut jouer une INDH dans le combat contre la peine de mort. Ils nous rappellent que l’abolition est un processus, autrement dit une suite d’actions, à laquelle il est important d’intégrer différents acteurs afin de maximiser les possibilités de suppression définitive de cette peine inhumaine et dégradante.
Cet exemple positif ne doit pas être perçu comme une exception par les ONG abolitionnistes. D’autres initiatives illustrent la valeur ajoutée d’un engagement avec les INDH, même les moins actives sur la question de la peine de mort. L’approche des ONG se doit ici d’être plus pragmatique et les INDH plus souvent sollicitées, comme en témoigne les cas de l’INDH nigériane, auparavant peu active sur la question de l’abolition.
Dans le cadre de son projet Sali (Saving Lives project ou projet « Sauver des vies »)94, le bureau d’Avocats sans frontières France (ASF) au Nigeria a pris le parti d’impliquer la Commission nationale des droits de l’homme afin de l’amener à soutenir l’abolition. Cette décision résultait entre autres du fait que les statuts de l’INDH venaient d’être révisés par le Parlement nigérian afin d’élargir son mandat et renforcer son indépendance95. Entre le 17 janvier 2011 et le 16 juillet 2014, cette collaboration a permis la libération de 35 prisonniers inculpés d’infractions passibles de la peine de mort ainsi que 7 grâces par les gouverneurs des États, grâce à la mise en place d’une aide juridique gratuite dans sept États (le Nigeria est une République fédérale). Ces libérations et ces grâces n’auraient pas été possibles sans l’aide de l’INDH nigériane qui a facilité le travail de terrain des avocats de l’équipe d’aide juridique formée par ASF et les contacts avec les autorités sur les dossiers en question. En tant que véritable partie prenante à ce projet, l’INDH a en effet permis d’assurer une meilleure acceptation du projet auprès des autorités, y compris au niveau des États. Pendant la période considérée, l’INDH a également pris position, en appelant le gouverneur de l’État d’Edo à ne pas procéder à quatre exécutions. Elle a ensuite condamné les exécutions hâtives décidées par le gouverneur alors même que la Haute Cour fédérale avait été saisie de demandes de sursis à exécution par les condamnés96.

Les institutions nationales des droits de l’Homme (INDH) sont des structures hybrides, placées quelque part entre État et société civile, qui ne sont pas toujours faciles à appréhender..

Cet exemple illustre le fait qu’une collaboration plus étroite entre la société civile et les INDH est une opportunité de changer le cours du dialogue, de modifier la dynamique entre ONG et autorités pour un format associant ONG, autorités et INDH. Collaborer avec les INDH permet de tirer profit des forces de ces acteurs clés et de leur influence afin de plaider plus efficacement contre la peine de mort. Enfin, au Nigeria, le projet a permis de mener un plaidoyer plus efficace auprès des autorités des États cibles en s’appuyant sur la présence des bureaux de l’INDH dans plusieurs États et de porter le message de l’abolition dans des régions où la question reste controversée, comme dans le nord du pays. Le projet a également permis la mobilisation et le renforcement des capacités du personnel de l’INDH lors des formations et ce tant au niveau de la capitale Abuja que des bureaux de l’institution répartis sur l’ensemble du territoire.
Concernant l’Asie, si la question de l’indépendance des INDH a été évoquée comme un frein à la collaboration au sujet de l’abolition, une approche pragmatique doit être envisagée97. À cette fin, une stratégie en trois points a été proposée :

  • Dans les États rétentionnistes sans INDH, les ONG devraient renforcer leur plaidoyer en faveur de l’établissement d’institutions nationales indépendantes, comme au Japon, à Taiwan, à Singapour et au Vietnam ;
  • Dans les États rétentionnistes avec des INDH passives sur la question de la peine de mort, leur capacité à travailler sur l’abolition pourrait et devrait être développée, comme au Sri Lanka ou en Indonésie ;
  • Dans les États rétentionnistes avec des INDH actives, celles-ci pourraient catalyser des réformes incluant l’abolition, si elles sont soutenues par les ONG. C’est par exemple le cas de Suhakam (INDH) en Malaisie ou Komnas-Ham en Indonésie qui collaborent avec des ONG (ECPM, DPP, etc.).

La dynamique de réforme dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient a également été mise en évidence. Au Maroc, où un avant-projet de Code pénal réduit la portée des crimes passibles de la peine capitale, cette dynamique est poussée par la collaboration étroite entre les différents acteurs comme le Conseil national des droits de l’homme, les parlementaires, la société civile regroupée autour de la Coalition marocaine contre la peine de mort et les acteurs internationaux comme ECPM. Dans les mois à venir, il y aura donc une occasion de mobiliser. Le président du Conseil national des droits de l’homme du Maroc a également insisté sur la nécessité d’élargir les alliances entre acteurs de l’abolition dans la région. Ces alliances devraient intégrer les facteurs suivants afin d’affiner le plaidoyer contre la peine de mort :
• Les changements politiques qui devraient être pris en compte par le mouvement abolitionniste. Par exemple, les effets sur le terrorisme sur l’opinion publique ne devraient pas être mis de côté.
• La nécessité de ne pas sous-estimer l’argument religieux.
• La question des priorités puisque, pour certaines INDH, il n’est pas aisé d’articuler la bataille fondamentale qu’est l’abolition avec d’autres questions tout aussi fondamentales.
• L’importance de lier l’abolition et une dimension sociale sous-estimée, liée à la pauvreté.

 

Notes


Le rôle des INDH dans la lutte abolitionniste


Pour aller plus loin