Cette table ronde a tenté de fournir des éléments de réponse à la question : quelles alternatives à la peine de mort ? La question des peines alternatives a été abordée. Il s’agissait aussi d’aller plus loin en proposant au mouvement abolitionniste de réfléchir à d’autres modèles de justice que les États rétentionnistes pourraient envisager pour remplacer la peine de mort.

James Scott, fondateur et coordinateur du projet de justice coopérative à la Cour de justice d’Ottawa revient sur l’un de ces modèles, la justice réparatrice.

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur la peine de mort ?
Tout a commencé, pour moi, en 1985. Le gouvernement canadien de l’époque voulait revenir sur la peine de mort, qui avait été abolie en 1976. J’ai participé, en tant que directeur de projet, à une campagne pour peser sur le débat. Pendant deux années, nous avons travaillé à éduquer le public, à faire du lobbying auprès des députés, à impliquer les Églises, les ONG… toutes les organisations qui s’intéressaient aux questions liées à la justice. À la suite de ces actions, malgré la dureté de ce gouvernement, nous avons gagné. Le vote du 8 juin 1987 a mis fin à cette tentative de ramener la peine de mort. C’est à la suite de cela que j’ai commencé à m’intéresser à la justice réparatrice.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la justice « réparatrice » ?
J’ai été invité ici, au Congrès mondial, pour parler des alternatives à la peine de mort. On ne peut pas vraiment dire que la justice réparatrice est une alternative à la peine capitale, car elle ne peut pas remplacer cette sanction. Cependant, la peine de mort incarne un exemple extrême de sanction appliquée par un système de justice punitif. Un système dans lequel on crée de la souffrance, dans lequel on met fin à une vie en réponse à un crime commis. Or, même dans les pays abolitionnistes, la logique du système de justice reste la même : consacrer l’essentiel de son énergie à attraper, condamner et punir les coupables. Il s’agit d’un système inefficace dans la mesure où il n’est pas réellement dissuasif, ne permet pas la réinsertion des personnes condamnées, ne prend pas en compte les autres personnes qui ont été affectées par le crime. La justice punitive est en quelque sorte unidimensionnelle dans son action. Pourquoi rendons-nous la justice de cette manière ? C’est cette question qui a été le point de départ de toute une réflexion sur une autre justice. Aujourd’hui, nous en savons plus que jamais sur les causes des crimes : l’alcool, les drogues, la maladie mentale, la misère, le racisme… Nous comprenons beaucoup plus de choses qu’il y a un ou deux siècles, quand le système de justice actuel a été créé. Globalement, notre idée est de prôner un système de justice qui permettrait de faire des analyses plus complexes et qui inclurait tous les gens qui ont été affectés par le crime.

L’idée serait donc de donner plus de place aux victimes ?
Aux victimes, oui, mais aussi aux communautés. Dans sa forme la plus simple, la justice punitive voit le crime comme une violation de la loi. Tu enfreins une loi, donc tu dois payer. La justice réparatrice considère, en revanche, le crime comme un tort commis. Quelqu’un a subi un préjudice. Bien sûr, c’est aussi une infraction à la loi mais cela n’est pas au centre, ce n’est pas la seule et importante composante. Le plus important, c’est que des gens ont été touchés. Les victimes, bien sûr, mais aussi les familles de victimes, les voisins, la communauté, et même la famille de l’accusé. C’est une approche beaucoup plus holistique. Donc, la question centrale n’est plus : « Quelle sanction pour l’accusé ? », mais : « Quels torts ont été commis, comment peuvent-ils être réparés ? » En posant ces questions, la justice réparatrice peut restaurer des relations brisées.

Des relations entre le coupable et la victime ?
Même dans le cas d’une personne qui cambriole la maison de quelqu’un qu’il ne connaît pas, une relation se crée. Et, de manière générale, nous sommes tous reliés parce que nous essayons de vivre ensemble en tant que communauté. Dans l’exemple du cambriolage, quelque chose se brise dans la communauté. Les voisins des victimes peuvent avoir peur, les personnes qui ont été directement victimes, même si elles avaient une bonne assurance, peuvent avoir peur de vivre chez eux ou de sortir… Il y a toutes sortes de torts commis que le système actuel ne prend pas du tout en compte. Nous proposons une réponse plus saine et plus complète qui prenne en compte toutes les parties, et qui tienne l’accusé responsable, mais pas seulement à travers la sanction. Bien sûr, il peut y avoir sanction, incarcération… mais il doit aussi y avoir des efforts de réparation : que peut faire l’accusé pour arranger les choses ? Pour réparer les torts commis ? Pour assurer à la communauté qu’il ne sera plus un danger à l’avenir ?

N’y a-t-il pas un risque que les victimes et la communauté réclament la peine de mort ?
C’est vrai que quels que soient les pays ou les cultures, les victimes ont une inclination à vouloir que l’autre partie souffre. Pas toutes, bien sûr. Mais, parfois, les victimes peuvent avoir une position dure et dire : « Je veux que cette personne souffre parce que j’ai souffert, parce que mon enfant a souffert… » Et nous comprenons cela. Mais c’est aussi parce que les victimes gravitent dans un système qui ne propose que cela… Au Canada, les victimes peuvent seulement faire un victim impact statement pour que le juge puisse voir à quel point elles ont souffert, comment cela a marqué leurs vies, mais elles n’expriment rien sur la sanction car c’est perçu comme inapproprié : « ils ne peuvent pas être objectifs », n’est-ce pas ? Dans le système actuel, seul l’État peut décider de ce qui est objectif et approprié.

Personnellement, je travaille sur deux projets. L’un d’entre eux agit sur la période qui précède la condamnation. Nous permettons la mise en place d’un dialogue entre l’accusé et la victime, si les deux parties y sont favorables. À l’issue de rencontres, les acteurs peuvent établir un plan de résolution qui sera remis au juge. Et, très souvent, j’ai pu voir que, si les victimes voient que l’accusé a vraiment du remords et veut vraiment assumer ses responsabilités, elles sont moins intéressées par l’incarcération. Et plus intéressées par le fait que l’accusé puisse réparer son acte, arranger les choses, soit concrètement, par exemple financièrement, soit symboliquement… ou par le fait que l’accusé fasse des efforts pour que le crime ne soit pas répété, en cherchant à se soigner, par exemple. Si les victimes voient que l’accusé éprouve du remords et qu’il veut essayer de réparer ses actes, elles s’intéressent moins au nombre d’années qu’il passera en prison. Parce que ces choses sont plus importantes pour elles. Dans le système actuel, où ces choses ne sont pas proposées aux victimes, la victime ne peut que mesurer à quel point la société prend leur douleur au sérieux selon le nombre d’années de prison que la personne devra faire. Mais ce n’est pas constructif, s’ils ont d’autres possibilités. Beaucoup de gens choisiraient d’autres options, s’ils avaient le choix.

Où est-ce appliqué actuellement ?
Au Canada, nous avons toujours un système de justice punitif, même si nous avons aboli la peine de mort. Cependant, il y a des discussions en cours ainsi que plusieurs projets pilotes qui tentent de démontrer qu’une nouvelle approche est possible. Je vous ai parlé de mon expérience « précondamnation », qui est appliqué dans le tribunal d’Ottawa. Certaines personnes trouvent ce projet laxiste envers les coupables, mais ce n’est pas ma position. Pour les accusés, il est très dur de faire face aux victimes, d’assumer directement ses actes et ses responsabilités. D’une certaine manière, il est plus facile de rester en prison en clamant son innocence. Les punitions sont peut-être allégées, mais les responsabilités sont davantage prises au sérieux. Surtout, il y a plus de satisfaction du côté des victimes car elles ont joué un rôle dans le processus. Quelqu’un a pris leur douleur au sérieux, quelqu’un a pris ses responsabilités vis-à-vis de leur souffrance, quelqu’un a fait des efforts pour arranger les choses.
Nous avons aussi un programme « post-condamnation », pour des cas de meurtre par exemple. Des affaires tellement sérieuses que les gens en général ne veulent pas se rencontrer avant un long moment. Mais dix ans ou quinze ans après, quand le coupable est encore un prison, les proches de la victime peuvent ressentir le besoin de rencontrer la personne condamnée pour poser certaines questions. Par rapport à ce qui s’est passé, par rapport à ce que fait la personne coupable durant tout ce temps en prison : est-ce qu’elle travaille sur son problème, est-ce qu’elle assume ce qu’elle a fait, est-ce qu’elle va recommencer à sa sortie, est-ce qu’elle va essayer de trouver la famille de sa victime et lui nuire à sa sortie ? Encore une fois, une relation brisée peut se réparer.

• Les présentations de Sumeet Verma, George F. Kain et James Scott sont disponibles sur le site du Congrès : http://congres.abolition.fr