Le 10 octobre 2015, la Journée mondiale contre la peine de mort a été consacrée à la peine de mort pour trafic de drogue et, du 19 au 21 avril 2016, la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur les drogues (UNGASS) s’est tenue à New York. Harm Reduction International, Reprieve, Amnesty International et la Coalition mondiale contre la peine de mort ont organisé un événement parallèle, en marge du Congrès mondial, revenant sur l’impact de la Journée mondiale, sur les conclusions de l’UNGASS et sur la stratégie à adopter à l’avenir.

Quel suivi après la session extraordinaire de l’Assemblée générale
des nations unies sur les drogues et la Journée mondiale 2015 ?

Par Aurélie Plaçais, directrice de la Coalition mondiale contre la peine de mort

L’enjeu de la « guerre contre le trafic de drogue » pour le mouvement abolitionniste
Avant que l’organisation non gouvernementale Harm Reduction International ne commence à travailler sur cette question en 2007, il n’y avait eu que peu de débat autour de l’impact des politiques de lutte contre le trafic de drogues sur les droits de l’homme, contrairement aux nombreux débats autour de la « guerre contre le terrorisme », par exemple. La peine de mort était alors un excellent point d’entrée pour commencer à discuter de cette problématique pour le mouvement de réforme des politiques de drogue. Presque dix ans plus tard, en avril 2016, la peine de mort était l’une des questions relatives aux droits de l’homme les plus débattues lors de l’UNGASS.

Le Groupe de travail de la société civile78, qui a agi comme la voix de la société civile pendant les négociations menant à l’UNGASS, a mené de larges consultations dans le monde entier. Ils ont mis en évidence sept questions prioritaires pour concentrer leur plaidoyer avant l’UNGASS. L’abolition de la peine de mort pour les infractions liées aux drogues était l’une d’elles79.
Pendant l’UNGASS, les débats ont notamment porté sur la question des financements de la lutte contre le trafic de drogue, dans des pays qui exécutent, et sur la complicité des pays abolitionnistes qui financent ces programmes. L’Union européenne a publié à cette occasion une déclaration conjointe encourageant les États membres à tenir les institutions internationales responsables de ces programmes dans les pays qui utilisent toujours la peine de mort80.
La résolution finale81, adoptée en avril 2016, représente le texte le plus fort jamais adopté en matière de garanties pour les droits de l’homme dans la lutte contre le trafic de drogue. Elle recommande notamment un respect des droits de l’homme dans la procédure pénale pour les personnes inculpées de trafic de drogue et ouvre la voie à une interprétation en faveur de l’abolition de la peine de mort. En effet, la référence à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au paragraphe 4.o) de la résolution permet de faire le lien avec les conclusions du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture qui considère que les conditions dans lesquelles la peine capitale est appliquée « dans les faits permettent de l’assimiler à de la torture. Dans bien d’autres cas, où les conditions sont moins pénibles, il n’en constitue pas moins un traitement cruel, inhumain ou dégradant »82.

Résolution A/RES/S-30/1, paragraphe 4.o)

« Nous, chefs d’État et de gouvernement, ministres et représentants des États membres […], recommandons les mesures suivantes […] :
promouvoir et mettre en œuvre, face aux infractions liées aux drogues, des mesures de justice pénale efficaces qui permettent de traduire en justice les auteurs de tels actes et qui soient conformes aux garanties d’une procédure pénale régulière prévues par la loi, y compris des mesures pratiques visant à faire respecter l’interdiction de l’arrestation et de la détention arbitraires ainsi que de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à mettre fin à l’impunité, conformément au droit international applicable dans ce domaine et compte tenu des règles et normes des Nations Unies en matière de prévention du crime et de justice pénale, donner accès à une aide juridictionnelle en temps voulu et faire respecter le droit à un procès équitable. »

La Malaisie est paradoxalement l’un des pays les plus progressistes en Asie en termes de réforme des
politiques de drogue. En parallèle, elle fait partie du groupe restreint des sept pays du monde qui appliquent souvent la peine de mort…

Le paradoxe de la Malaisie

La Malaisie est paradoxalement l’un des pays les plus progressistes en Asie en termes de réforme des politiques de drogue et d’accès aux soins pour les personnes qui se droguent. En parallèle, elle fait partie du groupe restreint des sept pays83 du monde qui appliquent souvent la peine de mort84.
Une étude sur la peine de mort menée par une Commission interministérielle serait en cours et, en novembre 2015, des réformes ont été annoncées sur la peine de mort, mais peu de précisions sont disponibles quant aux détails de cette étude et à la portée des réformes envisagées (peine de mort obligatoire pour trafic de drogue uniquement, ou abolition plus large).
Cependant, les précédents ministres des lois avaient fait des annonces similaires en 2010 et 2012, annonces qui, à ce jour, sont toujours restées sans effet. Il semblerait malgré tout qu’un moratoire non officiel sur les exécutions pour trafic de drogue soit en place car les dernières exécutions étaient pour meurtre alors que beaucoup de condamnations à mort sont prononcées pour trafic de drogue.
Il est donc important de maintenir la pression internationale, notamment dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU), et la pression régionale, par exemple avec le Réseau d’Asie contre la peine de mort – ADPAN85. Au niveau national, il faut sensibiliser le grand public avec des témoignages et des visages humains.

L’impact du travail abolitionniste auprès de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC)

Officiellement, en tant qu’organe du Secrétariat des Nations unies, l’ONUDC préconise l’abolition de la peine de mort et invite les États membres à suivre les normes internationales relatives à l’interdiction de la peine de mort pour trafic ou possession de drogue.
Un document de position de l’ONUDC sur les droits humains, datant de 2012, va même très loin car il préconise : « Si, en dépit de tout ce qui précède, un pays continue activement à appliquer la peine de mort pour des infractions liées aux drogues, l’ONUDC se place dans une position très vulnérable vis-à-vis de sa responsabilité en matière de respect des droits de l’homme si elle continue de soutenir les unités d’application de la loi, les procureurs ou les tribunaux du système de justice pénale. Que ce soutien revienne techniquement à apporter une aide ou une assistance à la violation des droits de l’homme dépendra de la nature de l’assistance technique fournie et du rôle exact de la contrepartie dans l’arrestation, les poursuites et les condamnations qui se traduisent par l’application de la peine de mort86. Même la formation des gardes-frontières qui sont responsables de l’arrestation de trafiquants de drogue, finalement condamnés à mort, peuvent être considérés comme suffisamment proche de la violation d’engager la responsabilité internationale. »
Cependant, cette prise de position n’a jamais été mise en œuvre87 et les programmes de l’ONUDC contre le trafic de drogue sont essentiellement financés par les États membres de l’Union européenne, tous abolitionnistes, mais sans que ceux-ci n’aient demandé à l’ONUDC de respecter ses propres directives sur les droits de l’homme.
Reprieve et d’autres ONG abolitionnistes mènent campagne depuis quelques années tant auprès des autorités européennes pour leur demander de communiquer des renseignements sur les programmes de l’ONUDC qu’ils financent, qu’auprès de l’ONUDC sur la mise en œuvre de son document de position de 2012.
Le travail mené par Reprieve et d’autres auprès de l’ONUDC semble ainsi porter ses fruits. En effet, le Parlement européen a adopté en octobre 2015 une résolution88 déclarant que l’abolition de la peine de mort pour les infractions liées à la drogue devait être une condition préalable à une assistance financière et technique de l’UE vers des pays tiers. Les donateurs se désengagent progressivement des programmes de l’ONUDC dans les pays qui exécutent toujours pour trafic de drogue. Selon le rapport « UNODC Annual Appeal 2016 », 5 410 000 dollars américains89 sont nécessaires pour mener à bien le programme en Iran, or l’ONUDC indiquait n’avoir reçu aucun financement pour ce programme au début de 2016.

Impact en Iran

Les campagnes internationales menées par ECPM, Iran Human Rights, tous deux membres du Réseau Impact-Iran90, Harm Reduction International, Reprieve et d’autres ont permis de mettre l’accent sur la peine de mort pour trafic de drogue en Iran. Les revendications des abolitionnistes se situaient auparavant autour des prisonniers politiques ou des mineurs ; désormais, c’est sur le trafic de drogue. L’Iran utilise le trafic de drogue comme prétexte pour exécuter des personnes. Les confessions sont souvent obtenues après de mauvais traitements et les personnes sont jugées par des tribunaux révolutionnaires à huis clos. De plus, ces condamnations concernent une population marginalisée de la société iranienne qui n’a que peu ou pas accès à des avocats, qui sont soumis à de mauvais traitements.

De nombreux Iraniens haut placés ont récemment parlé de l’échec de l’utilisation de la peine de mort pour combattre le trafic de drogue avec l’accroissement du nombre de crimes liés aux drogues, du trafic de drogue et des décès liés à l’usage de la drogue. Une nouvelle loi est en cours de discussion pour abolir la peine de mort pour les crimes non violents liés au trafic de drogue91.

Les autorités ont commencé à se saisir de cette question, qui n’est plus une ligne rouge à ne pas franchir pour les activistes en Iran, notamment parce que la question du trafic de drogue n’est pas liée aux arguments religieux.
Il est cependant difficile de savoir s’il s’agit juste d’une rhétorique adressée à la communauté internationale ou d’une réelle volonté politique.

 

 

Notes