Dans de nombreux pays, la peine de mort est plus fréquemment appliquée à des groupes vulnérables tels que les migrants et les minorités religieuses, ethniques, linguistiques et sexuelles. Les migrants et les minorités accusés de crimes passibles de la peine capitale se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. Alors qu’ils devraient avoir droit à un procès équitable, ils sont souvent victimes de discrimination judiciaire, l’aide d’un interprète indépendant ne leur est pas toujours proposée et l’assistance juridique leur est souvent refusée. Cette table ronde visait à discuter des stratégies juridiques qui pourraient atténuer ces difficultés, et des stratégies futures.

La vulnérabilité des migrants encourant la peine de mort, les exemples du Pakistan et de Singapour

Les migrants pakistanais dans les pays du Golfe
Un nombre considérable de migrants pakistanais se rendent dans les pays du Golfe afin de construire une vie meilleure. 96 % de la population totale de migrants pakistanais est concentrée dans six pays de cette région, dont 90 % en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. La plupart de ces migrants sont employés dans le secteur du travail manuel comme la construction ou la menuiserie.
Au cours des trois dernières années, 39 pakistanais ont été exécutés en Arabie saoudite, dans des affaires liées au trafic de drogues notamment. Ces populations sont habituellement sans éducation et font partie de la population pauvre du Pakistan.

Dans bon nombre de cas, les législations nationales sont appliquées de manière discriminatoire à l’égard des minorités.

Selon le Justice Project Pakistan (JPP), dans la plupart des cas en Arabie Saoudite, les prisonniers n’ont pas accès à un avocat. La plupart des audiences sont conduites en arabe sans traduction, ce qui a pour conséquence que les prisonniers ne peuvent ni comprendre les accusations portées contre eux, ni se défendre. Dans certains cas, les confessions sont obtenues sous la torture et les prisonniers se voient refuser tout contact avec leurs familles. Les familles ne reçoivent pas d’informations sur les arrestations, les condamnations à mort, les exécutions et les corps ne sont pas retournés au Pakistan. Ce pays n’apporte pas de soutien consulaire à ces migrants et à leur famille mais profite amplement des importants transferts de fonds que ces travailleurs envoient au Pakistan (environ 30 % des envois de fonds au Pakistan proviennent uniquement des travailleurs migrants en Arabie saoudite selon JPP).

La situation à Singapour
Amnesty International a qualifié Singapour de « Disneyland de la peine de mort », avec le nombre le plus élevé d’exécutions par habitant dans le monde. Entre 25 % et 50 % des condamnés à mort sont des ressortissants étrangers, dont la plupart sont des travailleurs étrangers peu scolarisés. Le statut économique des prisonniers, ainsi que leur statut et leur niveau d’éducation, ont une incidence sur leur capacité d’accéder à un procès équitable.
La plupart des exécutions sont liées à des affaires de drogue. Les particularités juridiques de Singapour posent des problèmes spécifiques aux groupes vulnérables, notamment les migrants et les minorités. Par exemple, la culpabilité est présumée dans les affaires de trafic de drogue ou la charge de la preuve est renversée. Il n’y a pas d’obligation de fournir un interprète indépendant, ce qui entache la fiabilité des transcriptions des interrogatoires et ne permet pas aux accusés de comprendre leurs déclarations avant de les signer. À ces obstacles, s’ajoute le délai de 21 jours avant qu’un accusé puisse avoir accès à un avocat.

La situation des minorités est toute aussi alarmante, bien que moins connue
Dans bon nombre de cas, les législations nationales sont appliquées de manière discriminatoire à l’égard des minorités. Par exemple, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, la législation de près de trente pays cible les minorités religieuses ou les personnes athées. De même, les lois liées à la lutte contre le terrorisme sont parfois utilisées pour cibler les minorités, comme les chiites en Arabie Saoudite.
Comment protéger ce groupe vulnérable contre la peine de mort ? Il est notamment primordial :
• De veiller à ce que chacun ait accès à un procès équitable, sachant que la pauvreté, le faible taux d’alphabétisation et d’éducation de nombreux groupes minoritaires accroissent leur vulnérabilité ;
• Que les gouvernements assurent une assistance consulaire à leurs ressortissants conformément à la Convention de Vienne sur les relations consulaires, adoptée le 24 avril 1963 ;
• D’identifier les bonnes pratiques en termes d’assistance consulaire.

Les minorités en Iran
En Iran, la population minoritaire ethnique baloutche est défavorisée et systématiquement discriminée en termes d’accès au logement, au droit à un procès équitable et aux droits sociaux et politiques. En outre, il existe des niveaux élevés de pauvreté, de marginalisation et une forte présence militaire dans les régions où résident les minorités. Les obstacles auxquels sont confrontées les minorités iraniennes sont impossibles à surmonter au niveau individuel.
Ces minorités ethniques sont discriminées quand il s’agit d’accéder à la représentation légale. L’année dernière (en 2015), 95 % des exécutions effectuées en Iran n’ont pas été annoncées. De nombreuses condamnations à mort pour des crimes liés à la drogue étaient en fait des condamnations de dissidents politiques, parfois même sans procès, et surtout sans avocat. La plupart des prisonniers issus des minorités sont arbitrairement arrêtés, sans mandat ni motif.
Le Tribunal révolutionnaire, l’institution judiciaire la plus stricte en Iran, traite la plupart des cas liés à la drogue. La plupart des juges s’appuient sur des aveux, obtenus souvent par la torture physique ou psychologique. Parfois, les familles des condamnés ne sont informées qu’après l’exécution, et n’ont même pas le droit de savoir où le corps de leur proche a été enterré.
L’État iranien utilise la peine de mort comme un outil politique pour décourager le militantisme des minorités ethniques. Combinant cela à des procès accélérés et au déplacement des prisonniers d’une région à l’autre, en particulier vers les régions où les journalistes se voient refuser l’accès, il y a peu de conscience de ce qui se passe. Le seul récit est celui de l’État et ce dernier déshumanise les minorités ethniques.

Les questions consulaires et diplomatiques
Le soutien consulaire est primordial dès les premiers jours après l’arrestation et de l’enquête, notamment afin de s’assurer que les migrants puissent bénéficier de leur droit à la liberté et à la sureté, de leur droit à un procès équitable et qu’ils soient traités conformément à l’ensemble de règles minimales de traitement des détenus (par exemple, droits d’être représenté, de comprendre les actes d’accusation et d’avoir accès à une traduction des procès-verbaux et autres documents officiels qui seront versés au dossier, d’avoir un interprète pour comprendre les questions des enquêteurs). Beaucoup de pays n’offrent pas ce soutien consulaire élémentaire à leurs concitoyens. Ce fut notamment le cas pour Mary Jane Veloso en Indonésie, qui n’a eu de soutien diplomatique de la part du gouvernement philippin que bien après la condamnation. C’était déjà beaucoup trop tard.
Ce soutien diplomatique est aussi essentiel au moment de la procédure d’appel de la condamnation ou de la sentence, des demandes de grâce, ou pour arrêter les exécutions. Il a d’ailleurs été souligné l’ambivalence de certains pays qui, sur leur territoire, exécutent des condamnés à mort (dont des étrangers) mais, en revanche, se mobilisent réellement pour leur concitoyens qui risquent d’être exécutés à l’étranger. Cette contradiction apparaît notamment en Indonésie, au Pakistan ou en Chine qui n’acceptent pas les exécutions de leurs concitoyens dans les pays du Golfe, par exemple. Cette ambivalence est visible aussi bien au niveau des diplomaties et gouvernements que des opinions publiques. En Indonésie, par exemple, des millions de personnes ont manifesté dans les rues de Jakarta en 2014 en soutien à Satinah Binti Jumadi Ahmad, condamnée pour meurtre, tandis que, dans le même temps, en Indonésie, les exécutions – principalement d’étrangers – n’émeuvent pas ou très peu l’opinion publique.
D’autres pays engagent leur diplomatie entière au service de leurs concitoyens condamnés à mort. C’est le cas par exemple du Mexique qui a même été jusqu’à attaquer les États-Unis devant la Cour internationale de justice67.
Certains pays n’offre en revanche aucun soutien consulaire, ni diplomatique à leurs concitoyens, manifestant à leur égard un réel abandon, certains par manque de capacités diplomatiques et d’autres par un soutien actif aux exécutions et à la répression musclée. C’est par exemple le cas des migrants afghans en Iran qui sont souvent l’objet d’un acharnement des autorités iraniennes avec le soutien du gouvernement afghan.
D’ailleurs, le ministre de la Justice d’Afrique du Sud en a profité pour rappeler que, même lorsqu’un pays abolit la peine de mort et estime que cette pratique fait partie du passé, la peine capitale pouvait revenir par les échanges et les communications des personnes et des concitoyens. Il ne faut donc pas baisser la garde diplomatique et politique.

 

Notes


Pour aller plus loin


Quelques définitions