La lutte pour l’abolition gagne peu à peu du terrain aux États-Unis. L’arrivée d’alliés nouveaux et inattendus, tels que d’anciens militants favorables à la peine de mort, fournit un nouvel angle de discussion à la question de l’abolition.
Cette table ronde a eu pour objectif d’informer les participants sur la situation de la peine de mort aux États-Unis et de leur présenter ces nouveaux alliés ainsi que les stratégies utilisées pour les rallier à la cause abolitionniste.

En 2016, sur les 50 États composant les États-Unis, 19 ont aboli la peine de mort42, 4 États rétentionnistes respectent un moratoire sur les exécutions43 et 6 autres n’ont pas exécuté de condamnés depuis plus de dix ans44, étant donc des États abolitionnistes de fait.

Lorsque l’on observe les chiffres relatifs au nombre de condamnations à la peine capitale et d’exécutions aux États-Unis en 2016, en 2013 ou encore en 2000, nous ne pouvons que constater que la situation de la peine de mort est en train de changer. En l’an 2000, par exemple, 223 personnes avaient été condamnées à mort, contre 83 en 2013 et 49 en 2015. Il en va de même pour les exécutions qui ont connu une chute importante avec 85 exécutions en 2000 contre 39 en 2013 et 17 en 201645. Outre cette chute constatée dans les chiffres, il est intéressant de constater qu’en plus des alliés traditionnels, tels que les défenseurs des libertés civiles ou les avocats de la défense, de nouveaux alliés, plus improbables, ont rejoint la conversation concernant l’abolition de la peine de mort. Ces alliés improbables se composent d’hommes ou de femmes traditionnellement reconnus pour leur opinion favorable à la peine capitale, tels que les républicains, des représentants de la loi ayant un jour soutenu la peine de mort ou encore des victimes ou leurs familles, entre autres, cette liste n’étant pas exhaustive.

Des procureurs généraux ou des juges se retrouvent aujourd’hui à dénoncer un système juridique en déclin et une application de la peine capitale peu fiable, inégale, discriminatoire et très couteuse

Cette mosaïque d’acteurs, de nouveaux alliés improbables, permet d’atteindre un public plus large, qui ne se retrouvait pas forcément dans les arguments abolitionnistes plus habituels.
Les républicains sont souvent classés dans la catégorie de ceux qui soutiennent la peine de mort46. L’un des arguments de ce soutien est qu’il est nécessaire de soutenir les familles des victimes et que l’imposition de peines très dures, à l’instar de la peine capitale, aurait un effet dissuasif47. Cependant, il est important de ne pas généraliser ce lieu commun. Certains dénoncent notamment le coût bien trop élevé du système de la peine de mort si on le compare à celui de la peine à perpétuité sans libération conditionnelle, ainsi que le rôle trop important du gouvernement dans cette sanction alors que les républicains, et les conservateurs en général, prônent une intervention limitée du gouvernement48.
La remise en cause de la peine de mort a également lieu au sein du système judiciaire lui-même. Des procureurs généraux ou des juges, anciens ou actuels, qui ont soutenu la peine de mort, se retrouvent aujourd’hui à dénoncer un système juridique en déclin et une application de la peine capitale peu fiable, inégale, discriminatoire et très couteuse, à laquelle il est impossible de faire pleinement confiance49, en particulier au regard du nombre d’innocents exécutés. À titre d’exemple, Mark White, ancien procureur général et gouverneur du Texas, et Mark Earley, ancien procureur général de Virginie50, ont soutenu la peine de mort, condamné et signé de nombreuses exécutions. Aujourd’hui, ils sont devenus de fervents abolitionnistes et déplorent la faillibilité du système d’application de la peine de mort, et reconnaissant que celle-ci ne sert à personne et qu’elle est tout simplement cruelle à tous les niveaux51.
Parmi les nouvelles voix « improbables » se trouvent également des victimes et des familles de victimes qui choisissent également de lutter contre la peine de mort. Si elles peuvent être perçues comme souhaitant une répression sans concession du crime commis et soutenant la peine de mort, il apparaît aujourd’hui que cela n’est pas ou plus forcément le cas. Leur voix est de plus en plus présente et entendue dans le débat autour de l’abolition de la peine de mort. Ces familles de victimes, nouveaux alliés « improbable », dénoncent un processus traumatisant ne respectant pas ses promesses. Elles préféreraient une condamnation à perpétuité qui, selon elles, serait certainement plus efficace étant donné que l’individu condamné purge réellement sa peine sans avoir à continuellement raviver les blessures au fur et à mesure des appels, sans un éternel sentiment d’attente et de désespoir52. Cette nouvelle catégorie d’alliés permet également de recadrer le discours qui se focalise très souvent sur le condamné en oubliant les victimes et leurs familles et la manière dont la peine de mort les affecte également53.
La force de ces alliés réside dans leur parcours et leur histoire. En effet, il ne s’agit plus ici de défendre l’abolition de la peine de mort d’un point de vue théorique ; ces nouveaux alliés improbables décrivent une réalité à laquelle ils ont été confrontés et qui les a poussés à refuser la peine capitale. Le message abolitionniste d’un ancien procureur général ayant soutenu la peine de mort ou de la famille d’une victime aura donc un poids différent de celui des alliés traditionnels. Ces messages peuvent être diffusés notamment par les médias qui informent un public trop souvent peu informé sur la question. Cela peut aider le public américain à se forger sa propre opinion sur la peine de mort.
Le public est un acteur important puisqu’il est amené, selon les États, à élire les législateurs favorables ou non à la peine de mort, à s’exprimer sur l’avenir de cette peine lors de référendums sur la question. Il est donc primordial qu’il soit informé et qu’il se reconnaisse dans les arguments utilisés dans les messages prônant l’abolition de la peine de mort.
La force de ces nouveaux alliés improbables est qu’ils n’ont pas peur de dévoiler les failles de l’appareil judiciaire américain en général, de la peine de mort en particulier, permettant un débat plus ouvert, diversifié et donc plus proche du public américain. La qualité de ces nouveaux alliés et du débat qu’ils engendrent redonne un nouveau souffle au mouvement abolitionniste américain prouvant ainsi que la situation de la question de la peine de mort est bien en train de changer aux États-Unis.

Au Nebraska, une consultation populaire a invalidé à 60 % la décision d’abolir la peine de mort, prise par le Parlement de l’État en mai 2015, tandis que les électeurs californiens ont rejeté pour la deuxième fois consécutive une proposition d’abolition.

Bref aperçu des dernières avancées

Au Connecticut, la Cour suprême de l’État, qui avait aboli la peine de mort pour les nouveaux crimes en 2012, a déclaré en 2015 la peine de mort inconstitutionnelle, dans State of Connecticut v. Eduardo Santiago ; l’abolition s’appliquant ainsi rétroactivement aux détenus condamnés à mort avant 201254. La Cour suprême américaine a, quant à elle, déclaré l’inconstitutionnalité de la peine de mort en Floride dans sa décision Timothy Lee Hurst v. Florida, rendue le 12 janvier 2016. La cour dénonce ici l’inconstitutionnalité des statuts régissant la peine de mort en Floride, notamment le fait qu’ils donnent au juge un pouvoir disproportionné en lui permettant d’outrepasser les recommandations du jury qui ne sont d’ailleurs pas tenus de rendre une décision à l’unanimité lors des condamnations à mort55. Depuis, cette même cour a rappelé à l’ordre l’État d’Alabama, souffrant du même mal que la Floride, en l’enjoignant de reconsidérer ses condamnations à mort à la lumière de Hurst v. Florida. Au Delaware, la Cour suprême de l’État a suivi cette tendance et, en août 2016 (Rauf v. State of Delaware), a déclaré inconstitutionnels les textes régissant la peine de mort dans l’État de Delaware. Enfin, pour clore ce bref aperçu des avancées, le laboratoire pharmaceutique Pfizer fait savoir en 2016 par communiqué officiel qu’il refuse l’utilisation de ses produits dans les protocoles d’injections létales lors d’une exécution.
Cependant la fin d’année 2016 a vu quelques reculs significatifs56 : tout d’abord l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis réduit fortement la possibilité d’un changement au niveau de la Cour suprême en raison de son pouvoir sur les nominations à venir. Dans le même temps, l’Oklahoma c’est prononcé à 67 % pour l’inscription de la peine de mort dans la Constitution. Celle-ci stipule dorénavant que « n’importe quelle méthode d’exécution sera autorisée, à moins qu’elle ne soit prohibée par la Constitution des États-Unis ». Cette mesure, unique en son genre, fait suite à de graves problèmes liés aux exécutions en Oklahoma. En 2014, la mise à mort de Clayton Lockett avait suscité l’indignation, le condamné ayant passé un long moment à gémir et à s’agiter sur sa civière. Au Nebraska, une consultation populaire a invalidé à 60 % la décision d’abolir la peine de mort, prise par le Parlement de l’État en mai 2015, tandis que les électeurs californiens ont rejeté pour la deuxième fois consécutive une proposition d’abolition.

 

Notes


Pour aller plus loin