« Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » Victor Hugo

Il n’y a pas de sujet de droits de l’homme plus politique que l’abolition de la peine de mort. À tel point que certains pays font tout ce qui est possible pour délier l’un de l’autre. Et pourtant rien n’y fait, l’abolition est depuis toujours le fruit d’un courage et d’un choix politiques d’un chef d’État ou d’un gouvernement, fondés sur des convictions fortes, sur des faits tangibles et prouvés. La peine de mort est immorale, injuste, socialement et ethniquement discriminante, raciste, faillible au plus haut point, totalement inefficace, dangereuse et non conforme au droit international, ni aux principes fondant les démocraties modernes, les droits de l’homme et le respect des valeurs humaines et, la première d’entre elles, le droit à la vie et à la dignité.

La peine de mort est incompatible avec les principes fondamentaux des droits de l’homme.

La place des femmes et des hommes politiques est donc au cœur du combat abolitionniste. C’est souvent par le courage d’un Président ou d’un chef de gouvernement, l’abnégation d’un ministre de la Justice et la volonté d’un Parlement que l’abolition voit le jour.
La cause de l’abolition offre l’occasion d’une réflexion sur l’exercice du pouvoir, sur la capacité à rendre ce pouvoir digne et respectueux de la personne humaine, sur les limites de l’homme et des institutions qui fondent les sociétés humaines. Tout un chacun est faillible, en démocratie et d’autant plus au sein des pouvoirs autoritaires. Le droit de vie ou de mort sur les citoyens ne peut être laissé ni aux mains de dirigeants aux pouvoirs sans bornes, ni au sort parfois aléatoire de la Justice qui ne sera jamais infaillible, et encore moins à la vindicte populaire et passionnelle qui, elle, n’est qu’instinct de vengeance et de mort.
Mais, au-delà des États, la société civile en tout premier lieu, les réseaux professionnels, juridiques, médiatiques, culturels, éducatifs, les institutions publiques, les collectivités territoriales, le secteur privé… tous sont concernés et impliqués par ce travail et sont des relais essentiels pour renforcer le débat et promouvoir les changements sociaux et politiques espérés. C’est pour ces raisons que le Congrès mondial existe. ECPM souhaite profiter de cet événement pour créer un lieu entièrement dévoué à l’abolition. La particularité du Congrès est de réunir des acteurs venant d’horizons lointains et éloignés. Nous réunissons ceux qui peuvent faire la différence. Près de 1 500 de ces « faiseurs d’opinion » ont ainsi participé au Congrès d’Oslo, en juin 2016, provenant de 121 pays différents, pour apprendre, rencontrer, se ressourcer, « réseauter », échanger sur les points communs et les différences, confronter idées et opinions. C’est par le partage, la connaissance, le dialogue et la rencontre avec l’autre que l’homme avance et que l’humanité progresse.

Quel bilan tirer du Congrès mondial ?

Comme après chaque Congrès mondial, il s’agit de penser les dynamiques abolitionnistes qui ont émergé du Congrès d’Oslo. En termes stratégiques, il est notable que celui-ci a permis de mettre en avant deux grandes priorités : l’Asie et les Institutions nationales des droits de l’homme (INDH).
Tout d’abord, en mettant sur le devant de la scène le continent asiatique lors du Congrès préparatoire en Asie qui s’est déroulé à Kuala Lumpur en juin 2015 et qui avait réuni 300 participants de 40 pays différents et qui avait permis de mettre l’accent sur les situations hétérogènes et multiples en Asie, ainsi que de grandes problématiques communes : la peine de mort obligatoire, le trafic de drogue, la condition des étrangers dans le couloir de la mort.

L’innovation du Congrès d’Oslo : l’implication des INDH
Ensuite en soutenant, pour la première fois, que l’abolition de la peine de mort est un sujet majeur du mandat des Institutions nationales des droits de l’homme (INDH). En effet, le Congrès d’Oslo a lancé cette dynamique qui marque le combat abolitionniste. La peine de mort doit devenir une priorité pour les INDH, au même titre que la lutte contre la torture. Il y aura un avant et un après Oslo en matière de lutte contre la peine de mort au sein des INDH.

L’appel aux réseaux au cœur de notre stratégie
La cérémonie de clôture du Congrès a ainsi pu mettre en avant la force des réseaux unis contre la peine de mort, qu’ils soient parlementaires, d’avocats, de maires de villes, de doyens d’universités. Ils ont rappelé que c’est ensemble que nous pouvons porter la voix de l’abolition.

Une mobilisation politique sans précédent

La participation politique au Congrès n’a jamais été aussi importante et d’un aussi haut niveau, conférant à l’événement une ampleur politique sans précédent. Deux chefs d’États, le pape François et le Président de Mongolie ont soutenu le Congrès en envoyant des messages vidéo forts. L’effervescence politique autour de l’abolition a battu son plein avant et après le Congrès mondial, résultat d’une intense campagne de lobbying porté par l’événement. La République du Congo a aboli la peine capitale en novembre 2015. La Mongolie a annoncé l’adoption d’un nouveau Code pénal sans la peine de mort en septembre 2016.
Quelques semaines avant le Congrès d’Oslo, Nauru aboli officiellement la peine de mort et la Guinée le fait juste après, tandis que le Kenya commute, en septembre, les peines de 2 747 condamnés à mort (dont 92 femmes) sous l’impulsion de plusieurs membres du Bureau des grâces, présents à Oslo.

Au total, le Congrès a accueilli plus de 250 représentants officiels de 66 pays différents dont un très grand nombre provenant de pays non abolitionnistes.
• 2 messages vidéo du pape et du Président de Mongolie ;
• 19 ministres (des Affaires étrangères, de la Justice, secrétaires d’État ou vice-ministres) venant de Norvège, de France, du Sri Lanka, de Malaisie, de République centrafricaine (RCA), de République démocratique du Congo (RDC), du Cambodge, d’Afrique du Sud, d’Australie, du Liban, de Palestine, de Mongolie, d’Italie, de Suisse, de Belgique, d’Espagne) ;
• 14 représentants d’OIG dont le Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies (OHCHR), le Secrétaire général du Conseil de l’Europe (CdE), le Représentant spécial pour les droits de l’homme de l’Union européenne (Service européen pour l’action extérieure ou SEAE), le Délégué général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le Directeur général de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ;
• Plus de 50 parlementaires du monde entier, dont le président du Parlement norvégien et d’autres du Maroc, de Tunisie, de Malaisie, d’Indonésie, du Cameroun, de RDC, du Liban, du Burkina Faso, du Kenya, de RCA, du Tchad, de Guinée, du Mali, du Bénin, du Royaume-Uni, de France, d’Italie, d’Allemagne, de l’Union européenne…
• 53 ambassadeurs et 120 représentants d’ambassades, de conseils diplomatiques et autres ;
• 10 hautes personnalités morales (prix Nobel, anciens ministres).

Cette mobilisation a permis à de nombreux pays non abolitionnistes d’avancer à leur rythme sur le chemin de l’abolition :
• La République démocratique du Congo (RDC) s’est engagée à Oslo à voter en faveur du moratoire lors de la résolution à l’assemblée générale des Nations unies et annonce la volonté de commuer toutes les peines de mort. Dans les suites du Congrès, le président Joseph Kabila signe l’ordonnance n° 16/066 du 22 juillet 2016, qui porte sur la grâce collective de tous les condamnés à mort, et sur la commutation de leur peine en servitude pénale à perpétuité, puis la RDC parrainera un side-event (événement parallèle) organisé par ECPM à l’Onu sur ce thème lors de la troisième Commission ;
• La Malaisie, par la voix de sa ministre de la Justice, Nancy Shukri, annonce son engagement officiel de mettre fin à la peine de mort obligatoire dans son pays ;
• La République centrafricaine (RCA) confirme l’engagement de la réforme de son Code pénal vers une abolition prochaine ;
• Le Sri Lanka s’engage à aller de l’avant dans le processus abolitionniste et le réaffirme par les voix de ses ministres des Affaires étrangères et de la Justice.

Le rôle essentiel du groupe de soutien (ou Core Group) d’ECPM

Ce groupe de soutien a été fondé lors du Congrès de Madrid en raison de la nécessité de travailler en réseau afin de porter politiquement auprès de tous les États la question de l’abolition de la peine de mort via la participation au Congrès mondial. Il s’agit ainsi d’encourager une participation politique au plus haut niveau possible mais aussi de pérenniser, au-delà des Congrès, l’intégration de la lutte contre la peine de mort dans les affaires politiques à l’échelle nationale, régionale et internationale.

Les membres du Core Group sont la Norvège, la France, le Bénin, le Rwanda, l’Australie, la Turquie, la Mongolie, la Suisse, l’Espagne, la Belgique, Monaco, le Mexique et l’Argentine. Un résultat manifeste du travail du Core Group en association avec ECPM est que toutes les diplomaties, ministères des Affaires étrangères et de la Justice ont entendu parler du Congrès mondial contre la peine de mort. ECPM a pu ainsi sensibiliser directement plus de 300 ambassadeurs à l’occasion de présentations spéciales à l’Onu, à l’Unesco ou à Oslo.

L’importance des nouveaux acteurs publics et politiques

Le rôle particulier des parlementaires
La mobilisation parlementaire aujourd’hui va de soi, mais elle est le fruit d’une prise de conscience progressive du rôle fondamental que peuvent jouer les membres des parlements. Nous constatons cette évolution au travers de l’implication sans cesse grandissante des parlementaires lors des Congrès mondiaux. Dès le premier Congrès mondial de Strasbourg en 2001, de nombreux parlementaires européens et de pays abolitionnistes étaient présents pour réaffirmer leur engagement contre la peine de mort. Aujourd’hui, la mobilisation touche également de nombreux parlementaires de pays rétentionnistes qui, courageusement, font vivre au sein de leurs parlements le débat nécessaire de l’abolition. Plus de 50 parlementaires du monde entier étaient présents à Oslo et ont participé à l’événement parallèle organisé au Stortinget, le Parlement norvégien.

Innovons en faisant appel aux armes non conventionnelles pour l’abolition
Il s’agit, pour le mouvement abolitionniste, d’avancer vers une démarche toujours plus inclusive en intégrant ou renforçant, à l’image des INDH à Oslo, l’implication de nouvelles parties prenantes issues des sphères citoyennes, économiques, politiques ou encore culturelles. En effet, c’est par l’émergence de nouvelles formes de coopération que le basculement pourra avoir lieu. À nous de trouver, lors du prochain Congrès mondial, de nouveaux alliés, en particulier auprès des acteurs majeurs de la vie culturelle, sportive et économique. Ces alliés sont autant d’armes non conventionnelles qui, sortant des sentiers battus, permettront peut-être de convaincre le plus grand nombre à nous rejoindre.

À quand un prix Nobel pour l’abolition ?
Encore une fois, de nombreux prix Nobels ont soutenu par leur présence ou par des messages vidéo le combat pour l’abolition qu’ils jugent primordial ; notamment les représentants du Quartet Tunisien (lauréats 2015), Desmond Tutu (lauréat 1984) et Ramos Horta (lauréat 1996).
L’abolition universelle est un droit, une nécessité de justice et un devoir moral, fondée sur des principes de démocratie, de justice, de non-violence et de respect de la dignité humaine. Quatre éléments qui fondent les principes de paix et de progrès pour l’humanité. Enfin, comme la maire d’Oslo, comme le doyen de l’Université d’Oslo, je pense que le temps est venu pour le mouvement abolitionniste international d’être récompensé par le prix Nobel de la Paix et que l’abolition soit reconnue comme un droit fondamental, un droit moral et un droit de l’homme.