Le projet de protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif à l’abolition de la peine de mort a été adopté par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en mai 2015. Alors que 34 des 54 États membres de l’Union africaine maintiennent toujours la peine de mort, l’adoption de cet instrument régional pourrait être une étape cruciale vers l’abolition en Afrique. Quelle est la valeur ajoutée d’un tel Protocole ? Comment plaider pour son adoption et sa ratification ?

Au cours de la deuxième Conférence régionale sur la peine de mort organisée en avril 2010 à Cotonou, au Bénin, par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples32 (ci-après la Commission), les États ont exprimé le besoin d’élaborer un protocole additionnel sur la peine de mort à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après la Charte africaine). L’une des recommandations de cette conférence a été de proposer un « projet de Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif à la peine de mort en Afrique pour combler les vides et étendre les dispositions inscrites dans le Second Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et insister davantage sur la justice réparatrice plutôt que sur la justice rétributive »33.
L’article 66 de la Charte africaine prévoit en effet des protocoles ou accords particuliers, si nécessaire, pour compléter les dispositions de ladite Charte34. Le projet de protocole a été rédigé par le groupe de travail sur la peine de mort en Afrique de la commission et présenté à la 56e session ordinaire de la commission35. Cette dernière a adopté le projet de protocole en mai 201536. Le texte est maintenant devant l’Union africaine pour être adopté. Le processus, bien que déjà fort avancé, se trouve donc à une étape cruciale.

Le mouvement abolitionniste et les sociétés civiles africaines ont plus que jamais un rôle important à jouer à plusieurs étapes afin d’accélérer :
• l’adoption de ce projet par l’Union africaine37 ;
• la ratification ou l’adhésion au protocole par au moins quinze États membres de l’Union africaine, afin de permettre son entrée en vigueur38 ;
• puis sa ratification ou son adhésion par tous les autres États membres de l’Union africaine n’ayant pas encore aboli la peine capitale.

Mais quelle serait exactement la valeur ajoutée d’un nouvel instrument ? Maya Sahli Fadel, commissaire à la commission et membre de son groupe de travail sur la peine de mort en Afrique nous livre des éléments de réponse39.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le groupe de travail sur la peine de mort en Afrique ?
C’est un groupe qui a été créé en 2007. Sa première opération a été d’initier une étude sur la question de la peine de mort en Afrique, qui sera bientôt actualisée. Toutes les régions ont été évaluées et, dans cette étude, il y avait des propositions et des recommandations. Parmi les recommandations, il y avait l’idée d’aller vers l’élaboration d’un protocole africain, additionnel à la charte africaine mais spécifiquement consacré à l’abolition de la peine de mort. On sentait qu’il y avait déjà un mouvement vers l’abolition et nous voulions le renforcer. La question avait été posée de savoir quel format devait prendre cette initiative : principe directeur, observation générale, guide ? Finalement, le groupe de travail a décidé de créer un instrument contraignant, un protocole additionnel.

Donc chaque État qui signera ce protocole devra abolir la peine de mort ?
Oui. Ceux qui l’ont déjà aboli, qui sont au nombre de dix-neuf40, seront déjà États parties de plein droit. Le problème qui se pose néanmoins souvent, c’est que certains d’entre eux ont aboli mais n’ont pas encore entamé les procédures de révision du Code pénal et notamment de la Constitution qui prévoyaient la peine de mort. Ce protocole sera contraignant pour tous ceux qui y adhèreront ou le ratifieront. Les États qui auront ratifié, et qui auront encore le moratoire, devront ainsi poursuivre leurs efforts, franchir le pas vers l’abolition définitive en empruntant le canal de la révision des textes internes. Tout un travail à l’international suivra, c’est une deuxième phase. Quant aux États rétentionnistes, s’ils intègrent le protocole, on leur demandera d’appliquer a minima un moratoire avant de finaliser toutes les procédures d’intégration de ce protocole. Il s’agit donc du premier instrument contraignant sur la question pour les États africains.

Quelle est la valeur ajoutée de ce protocole par rapport au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort ?41
Depuis plusieurs années, il y a en Afrique une tendance à développer des instruments propres au continent. Ce protocole s’inscrit dans cette tendance de développement du droit de l’Union africaine, notamment de tout ce qui concerne les instruments conventionnels. Même si un instrument universel existe déjà, l’instrument africain le complète et prend en charge des spécificités africaines. La Charte africaine sur les droits et le bien-être des enfants, par exemple, va au-delà de ce qui avait déjà été fait. Il y a des spécificités propres à l’enfant africain.

Quels sont les obstacles à l’abolition qui, d’après vous, sont inhérents au continent africain ?
Il y a d’abord tous les obstacles que je mettrais sous le couvert de la question sécuritaire. Il y a encore de nombreux conflits ou des crises avec des régions qui sont beaucoup plus touchées que d’autres, notamment en Afrique centrale. On a, en ce moment, une crise au Burundi, en République démocratique du Congo. Il est certain que, pour ces États, l’abolition de la peine de mort n’est pas encore une priorité. Il faut déjà assurer la stabilité, asseoir la paix. Le respect des droits de l’homme doit aller de pair avec ce processus, mais il y a malheureusement des priorités dans le respect de ces droits. D’après moi, le premier droit sur lequel il faut intervenir est le respect du droit à la vie. Or, ces crises ont un impact direct sur ce droit, ce qui rend la situation très difficile. D’un autre côté, dans les zones qui jouissent de stabilité, certains états restent réticents à l’abolition pour des raisons religieuses, culturelles, socioculturelles et parfois, également, l’ignorance des populations. Il faut pouvoir accéder à ces populations pour faire en profondeur un travail d’explication et d’interprétation. Pour ce faire, il est essentiel d’avoir sur place des courroies de transmission, des canaux par lesquels on peut faire passer des messages : les ONG, les médias… parce que l’État ne peut pas tout faire. Souvent, d’ailleurs, les états se déchargent en disant : « Nous, on est d’accord, on veut bien abolir, mais il y a l’opinion publique qui est réfractaire… » Mais, entretemps, ces mêmes États ne font rien pour s’ouvrir vers l’opinion publique et entamer des opérations d’explication, d’éducation, de mobilisation et de sensibilisation. S’il y a cet écueil au niveau des États, ce vide, il faut qu’il y ait d’autres partenaires qui fassent le travail à leur place. C’est là que la société civile entre en jeu, toutes catégories confondues : ONG, barreaux, ordres professionnels… N’importe quelle organisation pouvant apporter des explications très simples au niveau des populations.

Pensez-vous que l’Afrique sera le prochain continent à abolir la peine de mort ?
Je pense que c’est optimiste, mais pourquoi pas ? C’est cet optimisme qui conduit le travail de la Commission africaine. Nous sommes très soutenus par ceux que j’appelle les États champions comme le Bénin, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, et on compte beaucoup sur l’effet boule de neige […]. À la conférence de Cotonou, en 2014, les ministres de la Justice l’ont très bien dit dans la déclaration : « On accompagne la Commission africaine dans ce processus d’élaboration d’un projet de protocole » donc ils sont prêts, en tant qu’abolitionnistes, à mener ce travail avec leurs pairs des autres pays qui, à l’heure actuelle, ont le moratoire. C’est déjà un pas très important. Il y a bien sûr les rétentionnistes auprès desquels il faut faire tout un travail d’approche, mais je reste optimiste. Si nous parvenons, sur le terrain, à faire un travail de sensibilisation qui implique toutes les parties, les parlementaires, les magistrats, les universités… nous verrons des résultats.

 

Notes

 

Rappel : ratification ou adhésion

Bien que l’adhésion et la ratification produisent le même effet, les procédures sont différentes.

Ratification,
En deux étapes
Adhésion (aussi appelé accession),
En une étape

1. La signature

Elle n’entraîne pas d’obligation exécutoire, mais affiche l’intention d’un État d’examiner le traité au niveau national et d’envisager de le ratifier.

2. Ratification

La procédure d’adhésion s’accomplit en une seule fois. Elle n’est pas précédée par un acte de signature.