Des développements positifs ont été observés en Asie sur la question de la peine de mort, alors même que le continent détient le triste record du plus grand nombre d’exécutions au monde. En décembre 2015, la Mongolie a supprimé la peine de mort de son Code pénal. La réduction du nombre de crimes passibles de la peine de mort en Chine en août 2015 comme celle du champ d’application de la peine de mort obligatoire par Singapour en 2012 sont des signes qu’il faut saluer et encourager. Cette plénière a mis en lumière ces progrès et la façon dont ils pourraient être utilisés pour surmonter certains des défis faisant obstacle à l’abolition dans les États rétentionnistes de la région.

 

Des développements positifs démontrent une volonté affirmée de certains pays asiatiques de remettre en question la peine de mort sur le continent.

Depuis le Congrès de Madrid en 2013, l’Asie et l’Océanie ont connu un certain nombre d’avancées, particulièrement en 2015. La liste des pays abolitionnistes s’est ainsi allongée en accueillant les Fidji et la Mongolie en 2015 et Nauru en 2016, tandis que le Népal, qui a aboli la peine de mort en 1997, s’est assuré d’empêcher le retour de la peine capitale dans sa législation nationale en adoptant, en septembre 2015, une nouvelle Constitution interdisant l’adoption d’une loi prévoyant la peine de mort1.

« Le jour où j’ai prêté serment en tant que Président de la Mongolie, le 18 juin 2009, deux projets de décret ont été déposés sur mon bureau. L’un proposait d’appliquer la peine de mort à un criminel. L’autre proposait de lui pardonner. J’ai décidé de choisir la vie. Je choisis un avenir sain, juste et qui ne verse pas le sang de mon peuple. »
Tsakhiagiyn Elbegdorj, Président de la Mongolie,
message vidéo, 22 juin 2016, Oslo, Norvège

La peine capitale a également connu un tournant important en Inde après la soumission par la Commission indienne du droit2 de son 262e rapport, intitulé La peine de mort, en août 2015. La Commission constate notamment que les objectifs de la peine de mort ne servent ni les aspects réparateurs de la justice ni aucun des objectifs pénologiques reconnus par la Constitution. Elle estime que la peine de mort est un moyen de détourner l’attention des réels problèmes liés au dysfonctionnement de la justice pénale3. À la lumière de ces éléments, la Commission recommande l’abolition de la peine de mort en émettant, toutefois, une réserve à l’égard des cas de terrorisme et de faits de guerre contre l’État4. La Commission reste ici fidèle à la réalité de la peine de mort en Inde où les deux dernières exécutions (en 2013 et en 2015) concernaient des condamnés à mort pour actes de terrorisme5. Cependant, cette réalité peut être nuancée du fait qu’il ne s’agit pas d’un chef d’inculpation fréquemment utilisée ; aussi, en 2015 par exemple, sur les 75 condamnations à mort prononcées en Inde, aucune ne l’avait été pour terrorisme6. Malgré cette réserve, la Commission ose cependant aller plus loin et déclare souhaiter voir l’abolition absolue et irréversible de la peine capitale en Inde7, marquant ainsi sa position nette sur la question.

Cependant, si, pour ces États, l’abolition est actée ou sur la bonne voie, d’autres ont adopté des mesures discutables voire élargi le champ d’application de la peine capitale.

Certains pays, comme la Chine le Viêt Nam, refusent toujours de diffuser publiquement les statistiques liées à la peine de mort, classées « secret d’État ». Au Viêt Nam, les législateurs ont adopté en novembre 2015 une révision du Code pénal abolissant la peine de mort pour sept crimes (passant de 22 à 15 crimes passibles de la peine capitale)8.

Les mesures controversées de la Chine et du Viêt Nam viennent fortement nuancer les avancées abolitionnistes connues en Asie.

Les statistiques sur la peine de mort relevant du secret d’État, il est difficile de connaître réellement l’impact de cette mesure sur le nombre de condamnations. Cependant, et si cette mesure est la bienvenue, d’aucuns ne manqueront pourtant pas de dénoncer la reformulation de certains crimes, en particulier ceux liés à la production, au commerce ou à la possession de drogues. Si ces crimes ne figurent plus dans le Code pénal amendé à ces titres-là, ils sont toutefois punis sous trois nouveaux articles, nommément « production illégale de drogue » (article 248), « transport illégal de drogue » (article 251) et « commerce ou acquisition illégale de drogue »9.
La Chine a également révisé son Code pénal en 201510, retirant ainsi neuf chefs d’accusation de la liste des crimes capitaux, la réduisant de 55 à 46 crimes11. Cette avancée, bien que positive, doit être nuancée. En effet, ces chefs d’accusation étaient rarement utilisés et cette réduction n’aura finalement que peu d’impact sur la pratique, comme l’ont d’ailleurs déclaré les médias officiels qui ajoutent que, néanmoins, cette modification participerait à la politique du gouvernement visant à « tuer moins et avec plus de retenue »12. De même pour les révisions du Code pénal, bien que la défense jouisse de plus de droits13, tels que le droit des avocats de s’entretenir librement avec leurs clients et de participer à l’examen final des condamnations, la Chine ne respecte toujours pas les normes internationales en la matière. En effet, la Chine n’a pas ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 196614, elle en ignore donc les dispositions telles que l’article 14 sur le droit à un procès équitable, devant un tribunal compétent, indépendant et impartial15.
Les mesures controversées de la Chine et du Viêt Nam viennent fortement nuancer les avancées abolitionnistes connues en Asie. Ces mesures timides témoignent surtout d’un fort attachement à l’application de la peine de mort sur le continent et de la difficulté de s’en détacher. Certains pays, comme le Pakistan, n’hésitent d’ailleurs pas à emprunter un chemin opposé à celui de l’abolition, en durcissant leur législation en matière d’application de la peine capitale.
L’attaque de l’école de Peshawar en 2014 par des Talibans a marqué un tournant décisif dans l’application de la peine de mort au Pakistan16. A la suite de cette attaque, le gouvernement a levé son moratoire sur les exécutions, datant de 2008, et a modifié, en 2015, sa Constitution ainsi que sa loi sur les forces armées autorisant l’application de la peine de mort à des civils soupçonnés d’infractions liées au terrorisme. En octobre 2016, le Pakistan avait déjà mené plus de 400 exécutions depuis la levée du moratoire en 201417.
Le Bangladesh a également élargi le champ d’application de la peine de mort aux gardes-côtes en cas de mutinerie18. En Indonésie, les exécutions continuent d’être menées majoritairement pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, en particulier le trafic de drogue. Singapour, qui avait modifié sa législation sur l’application obligatoire de la peine de mort en 2012 pour le trafic de drogue, continue de l’appliquer, notamment pour les cas d’homicide volontaire. La Malaisie est également pointée du doigt comme étant l’un des rares pays à continuer d’appliquer cette peine de manière obligatoire19.

Quel est l’objectif poursuivi par les États refusant de considérer l’abolition de la peine de mort ? Pensent-ils répondre de manière adéquate à la volonté d’une opinion publique, mal informée, en quête d’une sentence pénale particulièrement dissuasive ?
Les États rétentionnistes véhiculent l’idée, fausse, que la peine de mort donne l’image d’un État fort. Son abolition serait donc une marque de faiblesse et d’insécurité pour l’opinion publique qui verrait en cette peine un moyen de contrôler le taux de criminalité20. Par conséquent, si un État maintient la peine capitale, cela serait dû à une majorité de l’opinion publique favorable à la peine de mort, notamment pour son aspect dissuasif. Son abolition reviendrait donc à perdre la confiance de l’opinion publique21.

71 % des personnes interrogées, favorables à la peine de mort, déclaraient suivre le gouvernement si ce dernier décidait d’abolir la peine capitale

Dans les études menées par les gouvernements des États rétentionnistes asiatiques, l’opinion publique répondra majoritairement « oui » à la question : « Soutenez-vous la peine de mort ? » Cependant, en posant des questions plus approfondies mettant la peine de mort dans le contexte de l’appareil de justice pénale, on s’aperçoit que cette même population n’a pas la même opinion, qu’elle n’a jamais réellement réfléchi à la question et qu’elle souffre d’un manque d’information concernant son propre système juridique. Cela a été démontré dans plusieurs études indépendantes menées en Malaisie22, au Japon23 ou en Chine24. Au Japon, par exemple, tandis que 83 % des 1 542 personnes interrogées déclaraient initialement soutenir la peine de mort, seulement 27 % la considéraient inévitable après une question relative au degré de leur conviction ; 49 % de l’opinion publique interrogée en ignorait l’unique méthode d’exécution et seulement 0,58 % avait été capable de répondre correctement à toutes les questions posées, dévoilant à la fois une confidentialité des informations relatives à la peine capitale ainsi qu’un désintérêt certain pour le sujet. Ce soutien désinformé à la peine de mort est notamment fondé sur l’idée largement répandue que ce type de condamnation aurait un effet dissuasif sur les individus26.
Cet effet dissuasif est un argument très souvent utilisé par les gouvernements pour justifier auprès de l’opinion publique l’application de la peine de mort. Cependant, la peine de mort ne sert pas plus l’objectif pénologique de la dissuasion que la peine de prison à perpétuité28. Lors de l’étude menée en Malaisie en 201316, alors que la peine de mort était placée dans un contexte de politiques dissuasives, seul 12 % de l’opinion publique rétentionniste interrogée estimait que la peine de mort remplissait le critère de dissuasion, la reléguant au dernier rang sur cinq politiques pouvant réduire les crimes très violents entraînant la mort. De même pour le trafic de drogue, avec seulement 15 %, la peine de mort se retrouvait encore une fois à la dernière place. Dans la même ligne, au Japon, seulement 27 % de l’opinion publique interrogée estimait que la peine de mort pouvait réduire le taux de crimes les plus odieux29. Ces faibles chiffres démontrent qu’une fois mieux informée, l’opinion ne prend pas l’argument de la dissuasion comme le plus fort. L’opinion publique tendrait d’ailleurs plus à soutenir la peine de mort pour son aspect punitif que dissuasif30.
Enfin, les gouvernements rétentionnistes avancent l’argument que l’opinion publique n’aurait plus confiance en l’État si celui-ci décidait d’abolir la peine de mort. C’est le cas en Indonésie qui aime à politiser l’utilisation de la peine de mort et connaît des pics d’exécutions avant chaque élection. Or, lors de l’étude japonaise, 71 % des personnes interrogées, favorables à la peine de mort, déclaraient suivre le gouvernement si ce dernier décidait d’abolir la peine capitale31.

Avec des informations objectives en main et après une réelle réflexion sur la question de la peine de mort et de son application, l’opinion publique peut se faire une opinion propre et est en mesure de remettre en question cette peine. Enfin, elle est également prête à suivre son gouvernement en cas d’abolition. Cela a bien été le cas dans de nombreux
pays tels que la France qui, au moment de son abolition en 1981, comptait encore 63 % de Français favorable à la peine de mort.
Cela démontre que l’opinion publique n’est donc pas une barrière à l’abolition de la peine de mort. Un argument en moins pour les pays rétentionnistes en Asie.

 

Notes

Pour aller plus loin