En amont du Congrès et en marge des débats, un programme culturel, riche et varié a été organisé, occasion de rappeler que l’art peut également être un outil au service de l’abolition.

Le rôle de l’histoire : Les médias et la peine de mort

La narration a le pouvoir de capter l’imagination et d’atteindre les gens d’une manière qui les ouvre au questionnement, à l’apprentissage et, finalement, au changement. Sortez et réfléchissez aux histoires que vous pouvez raconter, que ce soit dans les médias ou en personne, mais essayez d’en faire une bonne histoire.

En tant que personnes qui lisent actuellement ces Actes, vous travaillez probablement pour l’abolition de la peine de mort à quelque titre que ce soit. Vous êtes impliqué dans une communauté qui travaille à cette fin et vous vous armez avec autant d’outils que possible. Vous pouvez lutter contre les batailles judiciaires, faire du lobbying auprès des politiciens, communiquer avec le public ou vous engager dans une multitude d’autres actions pour mettre fin à la peine de mort dans le monde. En tant que réalisateur de documentaires, j’ai au fil des années mis au centre de trois projets distincts le thème de la peine de mort aux États-Unis. J’aimerais prendre le temps de réfléchir au rôle d’une histoire bien racontée pour vous aider à atteindre ces objectifs et à la façon dont les médias peuvent s’engager pour vous aider à le faire.
J’ai eu la chance de faire partie du programme culturel du 6e Congrès mondial contre la peine de mort à Oslo au début de cette année. J’ai pu montrer un premier montage de mon nouveau long métrage documentaire sur la peine de mort américaine, mais aussi organiser une soirée avec des survivants et des témoins de la peine capitale. Ce ne sont que deux événements d’un programme culturel de films, d’art et de musique qui ont nourri une réflexion sur la peine de mort. La qualité de ce qui était présenté était géniale et, pour moi, le moment fort était d’entendre les histoires personnelles de ceux qui en ont été affectés partout dans le monde, ce fut une expérience vraiment touchante. C’est dans ces différentes manières de raconter des histoires que je veux essayer de réfléchir à la meilleure façon de les utiliser pour essayer d’apporter des changements substantiels.

C’est dans ce boom des histoires criminelles basées sur des faits réels que nous avons l’occasion d’exposer au monde les histoires d’injustice dans nos systèmes de justice pénale, de façon à entrer en contact avec le public.

Nous nous trouvons dans une époque particulièrement intéressante, du point de vue des médias. Les histoires de véritables crimes bénéficient d’une exceptionnelle popularité, avec le podcast Serial et la série Netflix Making a Murderer qui sont les succès du moment. Le public est soudain prêt à entendre des histoires longues, sérieuses et très complexes de la justice pénale, sous une forme que les médias traditionnels n’ont jamais envisagée comme susceptible d’intéresser le public. Il y a cinq ans, aucun acheteur de chaîne n’aurait programmé Making a Murderer et cela, avec le succès du podcast de Serial, a ouvert la voie. Maintenant, tous les médias tentent de trouver leur propre mouture de ce succès : la semaine dernière, Netflix a sorti le film sur Amanda Knox alors que MTV a mis en place une série visant à innocenter des détenus, et même People Magazine lance sa propre série d’enquêtes. C’est dans ce boom des histoires criminelles basées sur des faits réels que nous avons l’occasion d’exposer au monde les histoires d’injustice dans nos systèmes de justice pénale, de façon à entrer en contact avec le public. Dans le monde du documentaire, qu’il s’agisse de la télévision, du cinéma, de la radio ou des podcasts, il y a actuellement une réaction contre une narration qui expliquerait le monde par des faits et des chiffres. On pense que ce type de films ne rencontre pas le public de la même manière. Je pense que comprendre cette différence est important pour ceux d’entre nous qui veulent utiliser les médias, pour aider à faire la différence.

* ALERTE SPOILER POUR LA SÉRIE NETFLIX MAKING A MURDERER *

Prenons par exemple de faux aveux. J’ai fait un court métrage dans lequel nous disions que 25 % des personnes innocentées par l’ADN avaient avoué un crime qu’elles n’avaient pas commis, c’est un fait incroyable. Je pense que les gens qui ont regardé le film ont été choqués par ce chiffre, mais je ne crois pas que leur compréhension de cette statistique est aussi importante que s’ils en avaient « ressenti » le déroulement et c’est là que les bonnes histoires entrent en scène. Dans la série de Netflix Making a Murderer, nous voyons l’interrogatoire par la police d’un jeune homme ayant un faible QI, et il est placé sous pression pour avouer un meurtre. Les aveux sont incroyablement difficiles à regarder parce que la police lui suggère des éléments d’information, le guide à travers les aveux et il devine clairement les éléments d’informations qu’il a besoin de leur donner. Le public a vu le processus se produire et ressenti sa réalité, ils n’ont plus besoin qu’on leur dise que quelqu’un peut avouer quelque chose qu’il n’a pas fait, c’est une réalité qui s’est déroulée sous leurs yeux. La série aurait pu faire parler dix experts différents sur la façon dont cela se produit, la méthode Reid138 ou la Cour suprême affirme qu’il est acceptable de mentir aux prisonniers, et je ne pense pas que cela aurait eu le même impact sur le public que de le voir se dérouler sous ses yeux. La raison en est que nous sommes complètement convaincus par l’histoire, nous ne pouvons pas détourner les yeux sur ce qui arrive au personnage et nous sommes totalement attachés à son expérience. Les réalisateurs de Making a Murderer intercalent des entretiens avec les avocats qui donnent des informations de base pour contextualiser l’histoire : pour moi, c’est un exemple parfait sur la façon dont les médias peuvent être extrêmement efficaces lorsqu’ils essaient d’inspirer le changement.
Les supports tels que Making a Murderer ou Serial n’auraient jamais été aussi populaires si ce n’était pour la force de leurs personnages et leur capacité à vous captiver à travers l’intime et le personnel. Grâce à l’expérience individuelle, nous pouvons raconter une histoire beaucoup plus vaste. Ces deux séries comprennent des faits plus importants et placent l’histoire dans son contexte, mais seulement une fois que le public est prêt à écouter parce qu’il se souciait d’abord des petits éléments de histoire. C’est le Saint Graal des médias quand on essaie de l’utiliser pour influer sur le changement, si nous ne nous concentrons pas sur ce à quoi le public peut se connecter, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’il soit réceptif à l’histoire, au sens large.
Tout le monde a une histoire à raconter : qu’il s’agisse des avocats, de leurs clients, des familles des victimes ou des condamnés, des bourreaux, des politiciens, du public. Dans ces expériences se trouvent la vérité de la peine de mort et son effet sur le monde et, si nous pouvons relier les gens à cette vérité, alors ils seront prêts à réfléchir à la façon dont cela pourrait changer.

 

Notes